Saadallah Wannous (1941-1997) est un grand dramaturge syrien injustement méconnu du public français -à la décharge de ce dernier, seul « Rituel pour une métamorphose » (1994) a été officiellement traduit en français-. Depuis quelque temps néanmoins -grâce aux efforts entre autres du metteur en scène franco-syrien Fida Mohissen qui travaille sur l’oeuvre de son compatriote depuis quelques années- il se fait plus présent, lors d’une soirée qui lui a été consacrée dans le cadre des Plateformes Art en Méditerranée ou encore de la première en français du « Livre de Damas et des prophéties » par la compagnie Gilgamesh. Sa voix, celle d’une prise de conscience condamnant sans cesse obscurantisme et illusions bafouées des régimes nationalistes résonne aujourd’hui avec un écho particulier.
Mais l’événement de ce mois-ci est de toute autre ampleur : Saadallah Wannous entre officiellement au répertoire de la Comédie française avec justement « Rituel pour une métamorphose », premier texte d’un auteur arabe a être joué salle Richelieu. Avant cela, la pièce a été présentée dans la cité phocéenne à l’occasion de Marseille capitale européenne de la culture -Marseillais de passage, la dernière a lieu ce soir ! N’ayant pas vu la pièce, difficile d’en faire la critique (voir plus bas celle du Monde). Sachez néanmoins que le metteur en scène anglo-koweïtien Sulayman Al Bassam, figure importante du théâtre arabe et international est l’architecte d’une trilogie shakespearienne fort sympathique -mention spéciale à « Richard III, une tragédie arabe » pleine de verve politique jouée devant le président syrien dans le cadre de « Damas capitale de la culture arabe 2008 » il y a quelques années, ce qui semble désormais une éternité…
Pour info, se cache derrière la composition et la production de la musique originale Yasmine Hamdan, chanteuse libanaise entendue chez Soap Kills, puis YAS, avant de commencer une carrière solo l’année dernière.
* Rituel pour une métamorphose de Saadallah Wannous, mis en scène par Sulayman Al-Bassam avec la troupe de la Comédie-Française, jusqu’au 7 mai à 20h30 au Théâtre du Gymnase (4, rue du Théâtre-Français, Marseille) et du 18 mai au 11 juillet à la Comédie-Française (1, place Colette, Ier). Billetterie 5-39 € en ligne. Le texte de la pièce est disponible aux éditions Actes Sud-Papiers. Emission « Grand Angle » sur France inter consacrée à l’événement à réécouter ici, avec Farouk Mardam-Bey.
Et aussi : Saadallah Wannous à l’IMA. |
Soucieux de resserrer les liens entre l’Institut du Monde Arabe dont il est désormais à la tête et d’autres établissements culturels parisiens, Jack Lang a mis en place un partenariat entre la Comédie-Française et l’IMA autour de « Rituel pour une métamorphose ».
C’est ainsi qu’après la projection d’Il y a tant de choses à raconter de Omar Amiralay le 16 avril dernier, un débat est organisé autour de la pièce jeudi 16 mai à 18h30 avec Sulayman Al-Bassam, Sylvia Bergé, Farouk Mardam Bey, Luc Deheuvels, Rania Samara, Mohamed Seif et Salwa Alneïmi. Une lecture de textes de l’auteur est également prévue jeudi 13 juin à 18h30 par les sociétaires de la Comédie-Française.
(extraits de la critique de Brigitte Salino pour le Monde.fr) L’admirable est que, avec Rituel pour une métamorphose, [Saadallah Wannous] ait si bien su dépeindre d’autres ténèbres : celles du poids de la tradition, du joug de la religion et du jusqu’au-boutisme du pouvoir, prêt à tous les mensonges et à toutes les exactions pour se maintenir en place. On comprend que, dans la Syrie de Bachar Al-Assad, la pièce de Saadallah Wannous soit persona non grata. Mais, d’une manière plus large, on est surtout stupéfait par le tableau prémonitoire de la montée de l’obscurantisme qu’offre cette pièce. L’action se passe à Damas, dans la seconde moitié du XIXe siècle. Sentant que son pouvoir s’effrite, le grand Mufti fait arrêter le prévôt des notables, Abdallah, en plein exercice érotique avec sa maîtresse, la courtisane Warda. Il a manigancé ce stratagème pour se débarrasser de son ennemi, le chef de la police, qu’il a incité à confondre Abdallah et Warda pour les jeter en prison. Mais, pendant la nuit, le grand Mufti fait remplacer Warda par Mou’mina, l’épouse d’Abdallah, ce qui lui permet d’envoyer en prison le chef de la police, accusé d’avoir arrêté à tort un couple légitime.Le grand Mufti pense avoir gagné sur tous les tableaux, puisqu’il récupère la main sur les leviers du pouvoir de la ville, mais il n’a pas mesuré les conséquences d’un point essentiel : Mou’mina a accepté de se livrer à l’exercice humiliant de remplacer la maîtresse de son mari à condition qu’elle soit elle -même ensuite répudiée…C’est là que tout commence vraiment. Pourquoi cette femme veut-elle être répudiée ? Parce qu’elle veut vivre sa vie. Et, pour elle qui rêve de se libérer des tabous et de la domination masculine, vivre, cela veut dire danser avec la liberté. Quitte à aller jusqu’au bord du gouffre, et à devenir elle-même une courtisane. Ce qu’elle fait, semant un désordre incommensurable dans les esprits (…). Rituel pour une métamorphose (…) se déploie à la fois comme un conte oriental et une fable brechtienne, en prenant son temps, en faisant vivre une ville et ses habitants, et en diffusant peu à peu la peur derrière le masque de la sensualité. Pour que ce goutte-à-goutte opère, il faut prendre son temps. Et c’est cela qui manque à la production de la Comédie-Française (…) Sulayman Al-Bassam a créé sa version scénique de Rituel pour une métamorphose en raccourcissant le texte et en essayant de l’éloigner de l’orientalisme pour lui donner une vision universelle. Mais, à trop vouloir bien faire, il en fait trop, et la fable de Saadallah Wannous prend une tournure compassée et conventionnelle : celle d’un spectacle, et non d’un manifeste de la scène du monde d’aujourd’hui.