INTERVIEW. A une semaine de la deuxième édition du festival israélo-palestinien « Pèlerinage en décalage » (les 13 et 14 juin 2015 à la Bellevilloise), Ustaza a attrapé au vol ses deux fondatrices, Inès Weill-Rochant et Kenza Aloui : l’occasion de dévoiler les nouveautés concoctées pour cette année et de revenir sur l’impact d’une telle initiative.
Avec déjà un festival au compteur, vous semblez plutôt zen pour la dernière ligne droite !
Kenza Aloui : Il semble qu’il y ait pourtant toujours quelque chose à faire, des petits détails aux visas des artistes. La préparation du festival cette année a été très particulière car Inès était à New-York une partie de l’année. Habituées à travailler sur deux fuseaux horaires nous assurons une permanence quasiment 24h/24 !
Inès Weill-Rochant : Au-delà de l’expérience que nous a donné l’organisation du festival l’année dernière nous constatons que nous avons gagné en crédibilité vis-à-vis de nos partenaires. Evidemment, en voyant des images de ce qui a déjà été fait les gens nous écoutent plus, les donateurs privés sont davantage au rendez-vous, ce qui était très loin d’être le cas en 2014.
Qui dit deuxième édition dit besoin de se renouveler ; comment avez-vous su éviter l’écueil de la répétition ?
I.W-R. : Nous avons tenu à conserver le même format que l’année dernière, c’est-à-dire des expositions, projections et débats l’après-midi suivis de concerts le soir. Le renouvellement vient du coup des artistes que nous avons choisi pour cette édition et qui portent des messages différents de l’année dernière. Par exemple la programmation de samedi est particulièrement engagée, comme le sont les trois expositions qui portent respectivement sur la dernière guerre de Gaza, la Nakba (début de l’exil de Palestiniens suite à la création de l’Etat d’Israël en 1948, ndU) et le mur de séparation entre la Cisjordanie et Isräel.
K.A. : Nous avons également ajouté trois disciplines : la sculpture, la danse contemporaine et la mode. Globalement la programmation est plus riche pour cette deuxième édition avec une trentaine d’artistes, soit dix artistes de plus plus que l’année dernière.
Vous revendiquez être en décalage avec la situation qui prévaut au Proche-Orient tout en offrant une meilleure compréhension de la réalité sur place, n’est-ce pas contradictoire ?
K.A. : A travers les artistes sélectionnés nous aboutissons à une image assez fidèle des composantes des sociétés palestinienne et israélienne. Nous accueillons ainsi à Pèlerinage en décalage des artistes originaires de Cisjordanie, des descendants de réfugiés palestiniens, des arabes israéliens, des israéliens ashkénazes et séfarades, des chrétiens, des musulmans…sans oublier Gaza où sont faites les robes du défilé de mode. Cette diversité peut étonner ceux qui ne connaissent pas bien la région et qui en ont une image monolithique, d’un côté comme de l’autre.
I.W-R. : Il est vrai que certains des artistes invités comme Tamara Erde (réalisatrice de This Is My Land, projeté samedi après-midi) ou Nadav Lapid (réalisateur de Le Policier, à retrouver lors d’une rencontre dimanche après-midi) ont des propos très marginaux par rapport à leur société d’origine. Mais tous ont en commun une grande ouverture d’esprit tout en étant critiques, ce qui est important pour mieux comprendre la situation humaine et politique. Le groupe System Ali par exemple (en concert dimanche soir), est un collectif de rap originaire de Jaffa très investi sur le terrain.
Quel type de public se montre le plus réceptif aux objectifs du festival de bousculer les clichés ?
K.A. : Lors de la première édition nous avions essentiellement communiqué dans notre entourage et sur les réseaux sociaux, ce qui s’était ressenti sur notre public, essentiellement constitué de Parisiens entre 25 et 60 ans, friands de culture et déjà sensibilisés au sujet. Cette année en revanche nous visons un public plus jeune et francilien, grâce notamment aux partenariats que nous avons noué avec trois associations : Global Potential, Danser Sans Frontières et One Two Three Rap, une association qui enseigne l’anglais via le rap dans des lycées de Seine-Saint-Denis. Dans ce cadre, un groupe de lycéens va animer un débat à l’issue de la projection de This Is My Land.
I.W-R. : Nous attendons également les agitateurs et les réfractaires potentiels de pied ferme ! Nous espérons que des mouvements comme le BDS (Boycott Désinvestissement Sanctions) ou les associations pro-israéliennes seront présentes. Je vais aller distribuer des flyers du festival dans la rue des Rosiers, dont les vendeurs de fallafel m’ont promis de venir : ce serait déjà un début, car assister au festival c’est d’ores et déjà être dans une posture de dialogue.
Quelle est justement la réaction de ce genre de milieu vis-à-vis du festival ?
I.W-R. : Du côté des associations pro-palestiniennes nous avons eu des retours silencieux mais plutôt positifs. Certains même nous ont donné des conseils au début. Peut-être est-ce une question de générations, mais aucune n’a voulu s’associer à notre projet. La question du boycott (des institutions israéliennes, ndU) y est pour beaucoup, mais en tant que festival indépendant qui ne dépend d’aucune institution palestinienne ou israélienne nous ne sommes pas concernés par ce dernier, et invitons tout le monde à participer !
K.A. : Quant aux mouvements pacifistes, ils adorent le concept, mais l’absence de « happy ending » -contrairement à la projection de Dancing in Jafa l’année dernière- risque de les déranger. Pour cette édition il n’y a pas de fin : que des constats et des questions en suspens, car on ne peut pas ignorer la réalité.
Quid de la suite ?
K.A. : Organiser le festival à Belleville est une externalité positive, à cause de son histoire et du mélange de communautés qui vivent ensemble. Cependant, le quartier est devenu très bobo, et les badauds qui ont eu le réflexe de pousser la porte de la Bellevilloise en entendant de la musique lors de la dernière édition sont des familles fraîchement installées, et non les petits commerçants et les habitants qui sont là depuis des décennies. C’est de notre faute, nous n’exposons pas les bonnes personnes à nos messages, c’est à nous de communiquer correctement là-dessus !
I.W-R. : Il faudrait faire le festival à Sarcelles ! Sur le plus long terme nous aimerions refaire une ou deux éditions en Ile-de-France, puis exporter le concept dans d’autres villes, comme New-York, Berlin, Casablanca ou Marseille. Nous aimerions également monter une société de médiation culturelle en lien avec la Palestine et Israël chargée d’organiser des événements qui chamboulent les clichés. Cela nous permettrait aussi d’avoir un meilleur encadrement et de faire de la production en lien avec le festival afin que les artistes sélectionnés puissent venir en amont réaliser des oeuvres uniques pour l’occasion, sous la forme d’une exposition, d’une performance ou d’un court-métrage…
En savoir plus : retrouvez le programme de la 2e édition du festival Pèlerinage en décalage les 13 et 14 juin prochains ici.
Photos : Droits réservés / Pèlerinage en décalage / 2014. Propos recueillis par Coline Houssais.