Ustaza est allée rencontrer Aziz Sahmaoui en amont du prochain concert de University of Gnawa (lundi 8 juin 2015 au Divan du Monde), et lui a demandé de présenter son dernier album (Mazal, sorti le 4 novembre 2014 chez World Village – Harmonia Mundi) en cinq mots. Verdict.
Mazal ?
« Mazal » signifie « qui dure, qui persiste ». C’est un élan positif vers le futur ; mazal on continuera à faire de belles choses, mazal on corrigera ce qu’il faut, mazal on se corrigera soit-même…Nous voulions évoquer à travers cet album des images joyeuses afin d’embellir le quotidien. Mazal nous vivrons de manière légère, pour rendre l’existence plus légère et adoucir les amertumes de la vie. C’est un album qui célèbre l’amour, ce sentiment noble qu’il faut rappeler tous les jours et qui devient une espèce d’esclavage lorsqu’il ne se renouvelle pas constamment. Je ne parle pas seulement d’amour passionné, mais aussi d’amour pour son prochain : c’est en sachant percevoir chez l’autre la beauté qu’on devient beau soi-même.
Thème ?
« Mazal » est le fruit de chansons mûries lentement depuis des années et de morceaux composés spontanément en réaction à telle ou telle situation. Nous sommes très sensibles à l’actualité, ou à nos lectures personnelles, qui s’ajoutent à des thèmes plus classiques comme la nostalgie. Tu vois, cette lune qui ressemble à un « noun » (la lettre « n » en arabe) avec son croissant et son étoile comme un point illumine une partie de la nuit tout en me rappelant le sourire de ma bien-aimée restée au pays alors que je suis en France. Même lorsqu’on est bien intégré et que l’on se sent chez soi ailleurs on a toujours le souvenir du départ, de sa langue, de sa terre, et de sa famille. Cet attachement fort surgit dans chaque faiblesse et te rappelle que tu es loin de chez toi. Mais « Mazal » est résolument optimiste : nous croyons que tout finit par s’arranger dans la vie. Certains nous disent « vous les Africains vous restez optimistes alors que les choses ne s’arrangent pas », mais nous continuer de croire en l’avenir, en des lendemains doux et lumineux. Ca ne coûte rien d’espérer, car sinon la vie n’a pas de sens.
Gnawa ?
Géographiquement, le Maroc c’est l’Afrique, et cette proximité physique a tissé des liens humains et historiques très forts, ce que certains tentent d’oublier. Les Gnawas sont présents au Maroc et Maghreb depuis très longtemps. Avec University of Gnawa cependant nous avons utilisé cet héritage comme moyen de voyager, d’aller à la rencontre d’autres artistes ainsi que de publics différents. Africain ou européen il suffit de partager une même vision et de se mettre au service de la musique. Il est cependant important de connaître sa propre culture avant de la marier à d’autres, comme j’ai pu le faire avec les autres membres du groupes français et sénégalais. Tout ce mélange installe un climat dans lequel on se sent bien, et que le public -qui n’est jamais dupe !- ressent.
Orchestre national de Barbès ?
L’ONB a insufflé un état d’esprit qui perdure jusqu’à aujourd’hui. Celui de la défense de la culture maghrébine par sa fusion avec le jazz et le rock. Il nous est arrivé de représenter la France partout dans le monde, c’était magnifique, notamment ce concert à Central Park en pleine coupe du monde 1998. Ce mouvement musical intrinsèquement européen qui a marqué toute une époque a inspiré beaucoup de jeunes groupes actuels, qui défendent les mêmes valeurs et mettent en valeur notre culture en mélangeant des instruments traditionnels (bondir, agoni) à la guitare, la basse, les claviers….Bien qu’il s’agissent d’instruments millénaires ils ont toujours leur mot à dire et leur rôle à jouer dans la scène musicale actuelle. Evidemment il y a un dosage à faire ! D’excellents groupes se produisent aujourd’hui en France, même si malheureusement les producteurs cherchent dorénavant avant tout à promouvoir des artistes qui peuvent remplir une salle. C’est un peu injuste que pleins de musiciens ne vivent pas de leur art. Au Maghreb en revanche les choses sont différentes ; les gens ne pensent pas à gagner leur vie comme cela et jouent avant tout pour le plaisir. La musique envahit cependant le quotidien, elle est partout, diverse, permanente.
Paris ?
J’aime Paris tout le temps et partout, même si j’ai longtemps habité dans le XVIIIe. Je l’aime à la fois à l’aube et au crépuscule : à l’aube lorsqu’il faut se réveiller pour prendre l’avion et que tu jouis de la beauté et de la sérénité de cette belle endormie, et au crépuscule les jours de ramadan lorsque la lumière changeante annonce la rupture du jeune. Une joie magnifique m’envahit alors, je me sens léger et heureux, et ai l’impression d’être au Paradis…