PERFORMANCE THEATRALE. DU 11 AU 14 MARS (MERCREDI : 20H, JEUDI : 14H30 & 20H, VENDREDI 20H, SAMEDI 16H). THEATRE LE TARMAC, 159 AVENUE GAMBETTA (XXe). DUREE : 1H. DE 6 A 25 €. RESERVATIONS ICI.
Conception, mise en scène, interprétation : Sawsan Bou Khaled / scénographie & animation vidéo : Hussein Baydoun / création lumière : Sarmad Louis / régie lumière : Ahmed Hafez / musique composée par Mikhail Meerovitch pour le film Le Conte Des Contes, 1979 et adaptée pour Alice par Maurice Louca.
Une jeune femme dans un lit avec des rondelles de concombre sur les yeux… « Contre les rides » dit-elle. Elle les enlève, les mange et éteint la lumière. Son sommeil est agité. Elle a froid aux pieds, elle les réchauffe à la lampe de chevet. Soudain, un troisième pied surgit de la couette. La lumière s’allume toute seule… Un cri. Le trouble et l’absurde se sont immiscés dans la nuit. Elle entame l’inventaire des organes de son corps. Elle invoque Othello et Desdémone. Elle porte un masque au visage d’enfant. Elle implore sa mère : « Maman des fois j’aurais voulu ne jamais être née ». Elle cauchemarde d’un monstre qui transforme en monstre les enfants… Une fois de plus, l’artiste libanaise Sawsan Bou Khaled, associée à son « compagnon de rêve » Hussein Baydoun, nous convie dans son univers, un univers de trouvailles techniques, d’images vidéos, de jeux de lumières et d’artifices, au service d’un imaginaire, d’un monde fantasmagorique peuplé de hantises venues de l’enfance, de la guerre, des peurs installées dans le quotidien. Le château d’Alice/Sawsan, comme celui de Kafka, est une féérie terrible, un désordre intime que l’on raconte avec, sur les épaules, un chat pour ultime confident. Un refuge d’où l’on invente des départs, des lointains imaginaires pour survivre.
Sawsan Bou Khaled est une artiste de scène née au Liban en 1975. Elle a suivi un cursus d’Arts du Spectacle à l’institut des Beaux-Arts de l’Université Libanaise où ses projets lui ont valu plusieurs prix et félicitations. Dans Archipel de Issam Bou Khaled, la comédienne réalise aussi les costumes, partie intégrante de la scénographie, qui se transforment au fur et à mesure du spectacle. C’est sa première expérience avec le scénographe Hussein Baydoun. En 2000, elle part en France pour suivre des études théoriques d’Arts du Spectacle et depuis, vit entre Paris et Beyrouth. C’est alors qu’elle s’approprie les oeuvres de Büchner, Nietsche, Artaud, Foucault, Deleuze, Genet, Koltès… Des écrivains et philosophes qui hantent son univers et forgent ses idées. À Paris, elle travaille sur des traductions de textes, notamment Quatre heure à Chatilla de Genet pour le solo de clown qu’elle interprète dans Danser sur les morts, mis en scène par Catherine Boskowitz. C’est en 2006, au théâtre Tournesol à Beyrouth qu’elle crée son premier spectacle Cryptobiose. En avril 2013, après une longue période de création plus personnelle, elle présente Alice au sein d’un hôtel abandonné, en plein centre du Caire. La performance durera 3 jours.
Qui est Alice qui donne son prénom au spectacle ? Alice dans le spectacle c’est le chat, l’ami avec lequel la femme peut avoir de réelles discussions. Et cette « femme », qui est-elle ? D’où vient-elle ? Quel âge a t-elle ? A t-elle un pays ? C’est moi, Sawsan ! Je ne joue pas un personnage. Je me mets en scène dans des situations extrêmes où je risque de ne plus du tout ressembler à ce que je suis dans la vie hors scène. Tout se passe dans un lit, je suis cette femme seule dans son lit, et ce lit est dans l’espace, il peut être partout comme nulle part, le lit plane dans le néant. Dans ce lit, cette femme avec sa solitude se laisse traverser par des rêves et des cauchemars, des visions et des hallucinations. Le spectacle est la matérialisation de ce qui passe dans sa tête. Elle se revoit enfant puis s’imagine dans son futur, vieille. Elle a l’âge de ses projections mentales, elle est sans âge. Vous présentez votre personnage avec des concombres sur le visage. « Contre les rides » dites-vous dans la pièce… Une étonnante façon de présenter un personnage ? Oui contre les rides, et pour vaincre le temps aussi ! Les concombres cachent les yeux plus précisément, empêchent la vue. Outre les concombres, plusieurs éléments cachent les yeux dans Alice…, c’est sans doute lié à ma relation à ma vision qui constitue, avec le toucher, le plus important des sens. C’est aussi en rapport avec ce qui se passait dans la révolution en Égypte, des snipers visaient et tiraient droit dans l’œil des manifestants, il y a eu beaucoup de personnes qui ont perdu la vue comme ça, notamment un dentiste, Ahmed Harara, qui a perdu son œil droit le 28 janvier 2011, puis l’œil gauche le 19 novembre 2011, maintenant il est aveugle. Voir ou ne pas vouloir voir, savoir ou décider de ne pas savoir, innombrables sont les choix qui nous sont offerts et qui constituent la condition humaine de nos jours. La dimension fantastique est très présente dans vos spectacles. Comment l’expliquez-vous ? Qu’en attendez-vous ? Alice est née dans une période où je ressentais une grande frustration, liée au manque d’espaces tant au niveau artistique qu’au niveau humain. Il y a un manque d’espace de répétition, de création, d’expérimentation de stockage des décors, etc. et pour moi ça équivaut directement à un manque d’espace d’expression, puisque chacune de mes créations artistiques est avant tout un moyen pour m’exprimer, donc pour exister. Une phase importante dans le changement d’une réalité quelconque serait de commencer par l’imaginer autrement. L’idée du spectacle est venue de là, voir comment nous serions capables, Hussein et moi, d’inventer des mondes divers dans cet espace très limité qu’est le lit et qui, avec le temps, deviendra de plus en plus restreint. En revanche le texte est souvent rare voire absent… Vous préférez les images aux mots ? Je perds de plus en plus ma confiance en les mots. Je pense qu’ils peuvent être trompeurs, manipulateurs et sont facilement vidés de leurs sens. J’ai une mémoire visuelle très forte et mon sens le plus développé est la vue, pour ça je suis facilement touchée par les images et souvent hantée par elles. Mon pire ennemi est la télé, cette chose capable de bavarder jour et nuit sans relâche ni répit. Mon prochain spectacle sera un tribut au silence (propos recueillis par Bernard Magnier).
NdUstaza : « Alice » est présenté au théâtre Le Tarmac dans le cadre du cycle « (D)rôles de Printemps » qui met à l’honneur artistes égyptiens, libanais et tunisiens. Retrouvez le reste de la programmation ici !