Portrait. En automne dernier, Ustaza a rencontré Jamila Lamrani, artiste marocaine dont les installations sont présentées dans le cadre de l’exposition « Maroc : arts d’identités » à l’Institut des Cultures d’Islam, qui s’achève en fin de semaine.
Née en 1972 à Al Hoceima sur la côté méditerranéenne du Maroc, Jamila Lamrani se définit comme le pur produit de « l’école de Tétouan », en référence à l’Institut National des Beaux-arts de Tétouan (INBA) dont elle est sortie diplômée en 1998. Créé en 1945 par Mariano Bertuchi lorsque le nord du pays était encore sous protectorat espagnol, l’INBA représente un passage obligé pour des générations d’artistes marocains. Unique institution supérieure au Maroc octroyant un diplôme spécialisé en arts plastiques et appliqués, il a vu défiler des peintres comme El Mekki Mghara, Saâd Bencheffaj, Mohamed Drissi, Mohammed Melehi, Mohammed Chabaa, Rachid Sebti, Mohamed Serghini, Faouzi laatiris, Hassan Echair, Ilias Selfati, Batoul S’himi , Safaa Erruas, Younes Rahmou et Mustapha Akrim. « Dans les années 1990 notamment, de nombreux artistes et professeurs étrangers sont venus à l’Institut et ont apporté avec eux des influences nouvelles, notamment de France et du Brésil« , raconte Lamrani, « ils ont enrichi notre réflexion artistique personnelle basée sur la société dans laquelle nous vivions à l’époque« .
Une fois son diplôme en poche, Jamila Lamrani entre dans la danse des grandes expositions nationales et internationales, présentant son travail à la Biennale de l’Art Africain Contemporain à Dakar (2002) ou encore à l’Institut Français de Casablanca (2005), la Cité Internationale des Arts de Paris (2006) puis la Villa Matisse Art Gallery à Marrakech (2010), la Biennale de Lyon (2013, au Monastère Royal de Brou -H2M plus précisément) et l’Institut des Cultures d’Islam (2014), pour n’en citer que quelques unes.
Désormais installée à Salé, elle conserve un besoin de voyager, nécessaire dit-elle, à sa dynamique de création, et qui « lui évite de stagner« . Le processus d’élaboration des oeuvres de Jamila Lamrani se fait en deux temps, comme l’explique l’artiste : « tout d’abord j’achète en permanence une quantité d’objets que je trouve souvent à la médina et que je stocke dans mon atelier. Le matériau précède ainsi l’idée que je peux avoir dans un second temps, l’inspiration venant d’une phrase, d’un film, ou d’un livre qui m’a marqué. J’ai une idée très précise du produit final, et si le résultat n’est pas exactement à la hauteur de ce que j’avais escompté je préfère passer à autre chose. Mon travail c’est moi, c’est ce que je peux exprimer de plus profond et de plus intime. Je suis donc extrêmement exigeante vis-à-vis de ce dernier ».
Ce travail justement s’axe autour de thématiques importantes dans la société marocaine qui se retrouvent néanmoins sous d’autres horizons : le rôle et la place des femmes (La Mariée), les aspirations démocratiques individuelles et collectives (Le Peuple Veut)…En employant des objets simples et ordinaires en apparence triviaux, l’artiste tisse un lien entre art et vie quotidienne. Roses séchées, fils de soie, transparents, métalliques, perles, tulle, tissus, papier, aluminium, crépon, paillettes, calque, pompons, cristaux, dentelle, ouate de coton, branches d’arbre…ces matériaux vendus par des hommes à une clientèle essentiellement féminine se font également passerelle entre deux sphères souvent séparées.
Jamila Lamrani aime faire contraster la fragilité et la petite taille des matériaux avec la grandeur de certaines de ses installations. « Des matières en apparence fragiles et insignifiantes comme une boule de coton peuvent, une fois déroulées, s’imposer dans l’espace avec force. Le vide devient alors un acteur à part entière de mes installations« . Cette matière première aisément transportable permet une reconstruction permanente des oeuvres, comme en témoigne « Paysages », vaste patchwork de tissus visible au rez-de-chaussée de l’ICI : « j’étais en résidence d’artistes au Stroud Valleys Artspace dans la campagne anglaise, entouré de forêts. La végétation était dense, et j’ai voulu mettre en valeur le jeu de la lumière filtrée par les arbres qui habillait les sous-bois. Par essence il s’agit d’une oeuvre sur l’éphémère, car la lumière comme le mouvement des feuilles varie en permanence, les ombres laissant leur place aux autres pour apparaître« . Les centaines de rectangles de tissus sont donc assemblés différemment à chaque accrochage, ce qui fait de « Paysages » une oeuvre unique non seulement en elle-même, mais aussi dans le temps.
Fascinée par le Portugal, « pays si proche de la culture méditerranéenne tout en étant tourné vers l’Océan« , Jamila Lamrani sera prochainement en résidence au Centre islamique de Selves, afin de relancer elle espère les échanges artistiques entre les deux pays. Paris néanmoins occupe une très grande place dans son coeur, comme en témoigne ses réponses au traditionnel questionnaire d’Ustaza !
Propos recueillis par Coline Houssais.