La soirée de lancement du 9e festival des Cultures d’Islam (consacré cette année au Maroc) a fait un peu office de rentrée des
classes pour les professionnels et amoureux de la culture arabe en Ile-de-France ; on découvre de nouveaux visages, papote avec les amis, retrouve les locaux qui ont un peu changé depuis la dernière fois…La clémence du climat aidant, c’est tout en douceur que la fin de l’été s’efface pour laisser place à pléthore de projets passionnants qui sauront nous porter j’en suis sûre jusqu’au printemps prochain.
A cette occasion, le président de l’ICI Jamel Oubechou accompagné des artistes s’est fait le guide de l’exposition « Identités » (jusqu’au 21 décembre). « Identités », c’est avant tout le Maroc vu par lui-même, loin des représentations exogènes et stéréotypées du tourisme de masse. A travers le travail de six visions parfois divergentes -et c’est toute la richesse du concept- de plasticiens marocains à qui l’on a laissé le soin d’exprimer leur pays sans préconceptions, « Identités » réussit le pari d’un art à la fois universel, accessible, réfléchi et profondément vrai.
Que la visite commence ! Petite sélection…
Avec « L’arbre de la maison », Khalil Nemmaoui met en exergue le fantasme de ce que l’on ne voit pas de l’extérieur ainsi que les ressentis non exprimés vis-à-vis de lieux que l’on habite pourtant des années durant. De cette manière, il lie entourage et identité et pousse le public à s’interpeller sur des choses usuelles et communes qui peuplent notre quotidien. Interrogeant le désert des campagnes, Khalil Nemmaoui pose également son objectif sur Casablanca, étonnamment déserte. Alors que le tumulte de la journée recouvre la ville d’un voile informe, à l’écart de la foule des moments beaux, puissants et effrayants apparaissent, à l’image de la ville en quelque sorte.
Malgré la variété des supports et formats utilisés par Jamila Lamrani, son travail est mué par une tension poétique caractéristique de l’artiste que l’on retrouve par exemple dans ses installations ouatées oniriques, oeuvres déambulatoires conçues comme une pièce dans laquelle on entre ou un rêve dans lequel on s’égare. En contraste -mais toujours avec l’usage de textiles- « Landscapes » offre de manière brute et monumentale une abstraction de paysage à la bichromie géométrique. Ma préférence va néanmoins à « Le peuple veut », installation figurant un tapis dénoué entre les fils duquel se fait entendre « إرادة الحياة » du poète tunisien Abou el Kacem Chebbi, devenu l’hymne de la révolution de jasmin puis des révoltes arabes. Loin de Julien Sorel et de Jeanne Mas, les fils rouges et noirs qui dégoulinent sur le sol évoquent à la fois le sang des martyrs tombés pour la liberté et l’encre qui malgré les sacrifices se répand, annonçant la liberté d’expression que les peuples finiront inéluctablement par obtenir.
ps) désolée je n’ai pas pu résister à ce montage Chebbi-Grandizer/Goldorak, très métaphorique.
Rupture et continuité également chez Hicham Benohoud qui présente deux séries de photographies. Avec « Ane situ », l’artiste s’attaque à l’animal, et pas n’importe lequel, Sidi el-7mar (« l’âne », donc). Tout un symbole, ce Cadichon photographié en fâcheuse posture dans des intérieurs bourgeois citadins. Cette présence incongrue suscite interrogations tant elle illustre la fracture entre intérieur et extérieur, ville et campagne, classes populaires et milieux privilégiés, espace privé et espace public, ainsi qu’entre l’agitation de la rue et le calme des salons feutrés. Fait révélateur, la difficulté n’a non pas été de faire poser l’âne damné en équilibre sur des briques ou engoncé dans les structures ridiges chères à Hicham Benohoud (l’animal docile semble se résigner à la situation) mais de faire en sorte que les gens acceptent d’ouvrir leur porte à cet invité quadrupède prolétaire. Avec « Azemmour », le noir et blanc révèle à la fois le désoeuvrement et le manque de repères d’enfants jouant dans les espaces vides de la ville presque trop grands pour eux. Livrés à eux-mêmes, avec quelques ficelles et élastiques (une constance chez Benohoud décidément) ils semblent devenirde fil en fil les cerfs-volants avec lesquels ils auraient pu jouer.
Avec Badr El Hammami, les enfants également sont au coeur de « Mémoire#2 », photo de classe aveuglante obtenue par un procédé photo-vidéo novateur. En dressant des miroirs face au flash de l’appareil, les jeunes modèles dressent leur propre frontière avec le public adulte. Une idée de frontière que l’on retrouve dans une mappemonde placée au mur et faite de fils de laine qui pendent (procédé du « peuple veut » de Jamila Lamrani si vous avez bien suivi), délimitations souterraines aux formes rhizomiques, mais aussi dans « Sans titre (tapette à souris) », piège géant invitant le spectateur à tracer mentalement la frontière avec la tentation susceptible d’être son propre piège.
Et pendant ce temps-là, un drôle de chevalier en armure fait du tourisme dans la Ville-Lumière. « Zobra », créature de Simohammed Fettaka, habite ainsi de sa présence insolite les lieux plus ou moins iconographiques de Paris, confrontant époques, lieux et esthétismes…
En bref, Ustaza recommande.
* Exposition « Identités » jusqu’au 21 décembre avec Jamila Lamramni, Younès Rahmoun, Hicham Benohoud, Simohammed Fettaka, Badr el Hammami et Khalil Nemmaoui à l’Institut des Cultures d’Islam (sur les sites du 18 rue Léon et du 56 rue Stephenson dans le XVIIIe, Métro Barbès ou Château-Rouge). Entrée libre du mardi au dimanche de 10h à 21h. Fermeture le vendredi de 10h à 16h.