– « Yasmine, she’s Lebanese, I’m sure she’ll be very famous.
– « I hope not, she’s way too good for that ».
N’en déplaise à Adam et Eve, les deux vampires de Only Lovers Left Alive (le dernier film de Jim Jarmusch dans lequel la chanteuse libanaise interprète dans un café du vieux Tanger « Hal », morceau composé spécialement pour l’occasion, ndU), talent et reconnaissance du public ne sont pas incompatibles. Sans cape ni fausses dents, Ustaza a pu le vérifier et s’entretenir avec Yasmine Hamdan à l’issue de son concert à la Gaité Lyrique -programmé dans le cadre de l’édition 2014 du Festival d’Ile-de-France- la semaine dernière : l’occasion de revenir sur son dernier album et ses coups de coeur du quotidien.
Tout d’abord, comment s’est passé le concert ?
Très bien ! L’ambiance était décontractée, il y avait une énergie sublime.
L’album Ya Nass (sorti en 2013) marque un tournant dans ta carrière…
Oui, souvent certaines personnes projettent une image exotique sur moi, mais à force d’aller à la rencontre des gens c’est ma musique qui prime : au fil des concerts et albums elles se retrouvent ou pas dans cette dernière suivant leurs goûts, tout simplement. Il est vrai aussi que « Only Lovers Left Alive » a permis de me faire connaître d’un nouveau public -notamment américain- et m’a ouvert de nouvelles perspectives. De manière générale cependant les artistes arabes commencent à sortir du « ghetto », la situation change, les frontières deviennent de plus en plus floues, ce qui rend les étiquettes et les préconceptions obsolètes.
Quels ont été les moments forts de cette tournée ?
La tournée tout entière est très intense…entre la promotion de l’album et les concerts en Europe, aux Etats-Unis, en Afrique du Nord, au Moyen-Orient, je suis sur les routes quasiment tout le temps depuis un an et demi maintenant, sans avoir même le temps de composer !
Heureusement la scène me donne une énergie formidable. La musique est un milieu dur et éprouvant qui demande énormément de travail, du coup les concerts me permettent de me recharger, de donner au public tout en me nourrissant de lui. C’est ainsi une véritable synergie qui se crée entre les artistes sur scène et les spectateurs dans la salle.
Le concert que nous avons fait au Caire en est un parfait exemple. Je jouais dans le mythique Théâtre de Kasr El Nil (où Oum Kalthoum se produisait le premier jeudi de chaque mois pour un concert diffusé à la radio et écouté religieusement à travers le pays, ndU), qui venait tout juste d’être rénové. L’ambiance était à son comble, drôle, avec un public jeune extraordinaire. On se serait cru à un match de foot où l’Egypte aurait gagné !
Ton concert à Beyrouth également t’a profondément marqué…
Beyrouth a été dur et émouvant. Cela faisait très longtemps que je n’avais pas joué dans ma ville natale, et l’attente était donc très forte des deux côtés. En plus j’avais enchaîné déplacements, répétitions et performances et étais au bout de mes forces. J’ai cependant voulu tout donner dans ce dernier souffle.
Le concert a commencé par Beirut et s’est terminé par Bala Tantanat, qui sont deux chansons empreintes de mélancolie sur la situation politique qui empoisonne au Liban. De retour dans cette ville où ils étaient nés et qui les avaient inspirée, ces morceaux prenaient soudainement tout leur sens avec une acuité presque douloureuse. A la fin, fatigue et émotion aidant j’ai eu énormément de mal à ne pas m’effondrer en larmes.
D’une certaine manière je n’ai jamais quitté Beyrouth : elle est présente dans ma réalité quotidienne, tous les gens que j’aime sont là-bas. Beyrouth, c’est à la fois l’inspiration et le moteur de mon travail, une ville pour laquelle j’éprouve un mélange contradictoire de tendresse et d’inquiétude, comme beaucoup de Libanais.
En plus de composer pour le cinéma, tu as également composé pour le théâtre, peux-tu revenir sur cette expérience ?
Composer la bande-originale de « Rituels pour une métamorphose » (l’adaptation pour la Comédie française par le dramaturge koweito-britannique Sulayman Al-Bassam de la pièce de Saadallah Wannous, qui marque l’entrée au répertoire du Français de la dramaturgie arabe, ndU) a été un processus très rafraîchissant, que j’ai abordé de manière ludique. C’était un défi que de créer une texture sonore qui rappelle le monde arabe -le mien du moins- et d’élaborer une musique qui ne fasse pas forcément appel aux stéréotypes habituels (oud, derbouka). La musique arabe est très variée et brute, j’ai ainsi joué sur beaucoup de matières et de souvenirs différents, voyageant dans la région pour enregistrer une multitude de sons et de bruits qui me plaisaient.
Pas de composition donc pour le moment, mais sûrement des inspirations ou des coups de coeur musicaux ?
Il y a Abdel Wahab bien sûr, encore et toujours, les ghazals soufis de la chanteuse pakistanaise Abida Parveen, James Blake que j’ai redécouvert, Tim Buckley, Cat Power et de l’ancien négro spiritual des prisons dont le rythme magnifique quasiment tribal me rappelle les rythmes du Golfe, .
Pour finir, je crois savoir que tu es Parisienne depuis presque 10 ans, impossible donc d’échapper à mon petit questionnaire !
Ton moment préféré : n’importe quand dans la journée, du moment qu’il fait beau. J’aime aussi Paris la nuit, je suis quelqu’un de noctambule…mais à la maison ! Je suis souvent en tournée, du coup lorsque je rentre je n’ai qu’une hâte, retrouver mon chez-moi.
Ton lieu préféré : le Centre Pompidou, mais aussi ce minuscule restaurant libanais devant l’Eglise Saint-Eustache tenu par un charmant couple qui m’installe une table sur le trottoir quand il y a du soleil (Zeytoun, 20 rue Montmartre, ndU). De manière générale j’ai mes habitudes dans les 2e, 3e et 4e arrondissements, notamment le Marais et les commerces de la rue du Nil où je peux me ravitailler en produits frais.
La meilleure chose à Paris selon toi : la nourriture ! Sinon c’est un endroit extraordinaire où toute personne un tantinet désespérée peut trouver l’inspiration et se rafraîchir les idées. Et puis il y a la culture, cette multitude de spectacles, musées, librairies. C’est ce qui m’attache le plus à Paris et qui fait que je ne peux pas quitter cette ville, même si le soleil et la mer de la Méditerranée me manquent parfois…
BONUS: La playlist idéale de Yasmine Hamdan.
Propos recueillis par Coline Houssais.