« Le Challat de Tunis c’est l’histoire d’un homme qui se balade sur une mobylette et qui balafre les plus belles fesses de femmes dans les rues de Tunis ». C’est ainsi que Kaouther Ben Hania présente son premier long-métrage, en salles le 1er avril 2015. Inspiré d’un fait divers qui a défrayé la chronique en 2003 sans qu’officiellement le coupable ne soit débusqué, « Le Challat de Tunis » est l’enquête visant à découvrir le fin mot de l’histoire dans le contexte de l’après-révolution.
La réalisatrice tunisienne n’est pas une nouvelle venue dans le paysage cinématographique tunisien : fruit d’une reconversion professionnelle et d’une passion pour le cinéma amateur, la carrière de Kaouther Ben Hania derrière la caméra est émaillée de courts-métrages tour à tour drôles et touchants (« La brèche », « Moi, ma soeur et la chose », « Peau de Colle » ) qui ont en commun une certaine justesse de regard posé sur la société. Le dernier, « Peau de Colle » a ainsi obtenu le Prix du court-métrage et le Coup de coeur du public du PCMMO (Panorama des Cinémas du Maghreb et du Moyen-Orient) l’année dernière. A ce titre d’ailleurs, il sera rediffusé le 12 avril, dans le cadre de l’édition 2015 du festival.
Avec ce court-métrage « qui a représenté quatre années de /sa/ vie », Kaouther Ben Hania passe ainsi à la vitesse supérieure, et l’ACID (Association du Cinéma Indépendant) ne s’y est pas trompé en sélectionnant « Le Challat de Tunis » pour sa soirée d’ouverture lors de l’édition 2014 du festival de Cannes : « documenteur » pour reprendre le titre d’un des films d’Agnès Varda, -une référence pour Ben Hania-, le « Challat » met en scène une apparente réalité pour mieux servir son propos. En poussant la caricature de certains comportements à l’extrême, la réalisatrice interroge l’absurdité de ces derniers. Pas de manichéisme dans cette satire du machisme, les femmes ne faisant guerre la différence, témoins passives des débordements de ces hommes qu’elle éduquent ou accompagnent au quotidien.
Malgré un thème liberticide et une atmosphère par moments oppressante, « Le Challat de Tunis » est le film de la liberté : celle vis-à-vis des producteurs d’osciller en toute indépendance entre le documentaire et la fiction, celle vis-à-vis des autorités de faire un film sur un fait divers et d’oser présenter la société tunisienne sous un jour peu flatteur -choses impensables sous l’ancien régime-. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si l’intrigue qui se déroule de nos jours porte sur un événement s’étant déroulé il y a dix ans : dans le « Challat » Kaouther Ben Hania interroge le changement, ce qui est resté, consciemment ou pas. In fine, « Le Challat de Tunis » traite à travers les violences faites aux femmes dans l’espace public des dynamiques d’un pays en mutation totale. « Le film correspondait à cette Tunisie en transition, dans un état de dérision et d’auto-critique permanent » raconte la réalisatrice. « La Tunisie se cherche encore, bien que nous ayons la chance de vivre cette transition de manière relativement stable. Une chose est sûre cependant ; il y a un acquis depuis la Révolution qui est la liberté d’expression et sur laquelle les gens ne sont pas prêts de revenir ».
Sorti en Tunisie le 1er avril 2014, « Le Challat de Tunis » est resté longtemps à l’affiche, porté par un très bon accueil à la fois critique et populaire, et accompagné parfois de débats. « J’ai participé à beaucoup de projections-débats dans plusieurs régions du pays qui ont été passionnantes, notamment lors de l’université d’été de l’Association des Femmes Démocrates ». Alors que les propos de certains personnages ont peu choquer une partie du public, la majorité des spectateurs ont apprécié la satire. « Avant la Révolution, comme la propagande officielle interdisait toute liberté d’expression les Tunisiens pratiquaient la dérision en permanence à travers les blagues notamment, dans les cafés ou ailleurs » poursuit Kaouther Ben Hania. « C’était notre soupape pour échapper à la censure qui plombait le pays. Après la Révolution nous avons eu à coeur d’afficher cette dérision dans l’espace public ».
Un an jour pour jour avec sa sortie tunisienne, voici donc « Le Challat de Tunis » sur les écrans de France et de Navarre. Distribué par Jour de Fête il est à retrouver dans les salles suivantes (au 1er avril 2015) : MK2 Beaubourg (IIIe), La Bastille (XIe), Le Louxor – Palais du cinéma (Xe), Le Cinéma des Cinéastes (XVIIe), Le Luxy (Ivry-sur-Seine), Le Studio (Aubervilliers), Le Trianon (Romainville), Cinéma Jeanne Moreau (Clamart), dans le cadre notamment du Panorama des Cinémas du Maghreb et du Moyen-Orient.
Quant à Kaouther Ben Hania, elle planche d’ores et déjà sur ses futurs projets : « un documentaire tourné par petits bouts depuis 2009 pour les besoins de la narration que je dois finir de tourner cette année » et « La Belle et la Meute », une des dix fictions sélectionnées dans le monde entier par l’Institut français pour la Fabrique des Cinémas du Monde au Festival de Cannes et que le Ministère de la culture tunisien a également choisi de soutenir. Double bonne nouvelle, assurément !