Ustaza à Paris

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Six questions à…Wafa Benromdan, VJ

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INTERVIEW. Wafa Benromdan aka « Waf » est la VJ attitrée d’Arabstazy, le collectif formé entre Tunis et Paris. Rencontre avec une artiste qui nous fait découvrir un phénomène encore peu connu faisant appel à de multiples disciplines.

Et si nous commencions par parler de ce que sont le VJ-ing et le mapping pour les éventuels non-initiés ?

Le VJ (video-jockey), c’est tout simplement le mixage d’images animées…l’image devient alors une vidéo en quelque sorte. Le mapping quant à lui est plus novateur ; il s’agit d’habiller avec de la projection vidéo des surfaces de structures en relief, en se basant sur le dessin précis des bordures de chaque volume. La vidéo peut être préparée en amont (ce qui est le cas dans certaines pièces de théâtre, ndU) ou projetée en VJ.

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Comment t’es venue cette envie de te lancer dans la VJ ?

J’ai toujours été fascinée par l’image, qu’il s’agisse de vieilles photos de famille ou des affiches que je voyais dans la rue. J’ai donc commencé par la photographie argentique, puis j’ai découvert la vidéo comme discipline artistique à mon entrée aux Beaux-Arts de Tunis en 2004 (où j’ai fait une licence de design d’objets)…c’est un tout nouveau monde qui s’est alors ouvert à moi ! Je suis ensuite partie en France faire un master d’esthétique du design à la Sorbonne, et ai rencontré Olivier Ratsi (du collectif ANTIVJ) qui m’a véritablement fait découvrir le travail de VJ. Nous avons créé le duo Wafolyv avec lequel nous avons joué au E-Fest (Tunis), aux Plages Electroniques (Cannes) et au Crossover (Nice), mais aussi à Paris où nous nous sommes produits à la Rotonde (Canal de l’Ourcq) pour son inauguration ainsi que chez l’Eclaireur, une boutique du Marais qui met tous les six mois les 147 écrans qui recouvrent ses murs à la disposition d’artistes vidéo. En Tunisie, le VJing a été introduit grâce au E-Fest en 2007. Via des ateliers de création vidéo, des rencontres entre artistes étrangers et tunisiens et des performances couplées au développement d’internet, une certaine culture des arts visuels s’est développée en Tunisie, et a provoqué quelques vocations, dont la mienne.

A quoi ressemblent la préparation et l’élaboration d’une performance live ?

C’est une pratique qui nécessite énormément de recherche, surtout qu’en plus de posséder de nombreuses lacunes dans le domaine du cinéma (qui est une matière première importante pour les VJs) je déteste travailler sur des images déjà utilisées. Je me suis ainsi constituée au fil du temps une base de données d’images animées -boucles d’animation, extraits de films- dans laquelle je pioche en fonction du thème de la soirée. Internet est une excellente source de matière première, tout comme le sont mes échanges avec d’autres vidéastes ou des cinéastes qui me proposent des rushs de leur travail. J’offre ainsi une nouvelle vie à des images inédites qui sont mises de côté après le montage et finissent souvent à la poubelle. Après je travaille comme un DJ qui construit son morceau en partant d’une boucle d’images que j’étoffe petit à petit avec ma mine de trésors par un système de « calques », et effectue au long de ma performance ce qui apparaît au final comme un collage vidéo.

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Le VJ intensifie l’expérience du public en lui offrant un univers visuel qui prolonge la performance musicale, est-ce difficile de se greffer sur cette dernière ?

J’essaie en général soit d’être totalement synchronisée avec la musique, soit d’être totalement en décalage. Il faut en effet que la vidéo fasse partie intégrante de la scénographie, qu’elle épouse la musique et la porte encore plus loin…d’une certaine manière on peut dire que le VJ habille la scène. Mon objectif est de tisser une véritable narration autour des images animées que je fais évoluer. Cette narration est un processus très difficile, car suivant le public le message peut être quelque fois mal interprété ou compris. Le pouvoir de l’image sur des gens qui sont face à un écran géant n’est en effet pas négligeable, et bien que mon travail ne soit pas forcément engagé ou politique j’ai parfois envie de « balancer » quelque chose qui me tient à coeur. Mes thèmes de prédilection sont ainsi les femmes, le voile, les « barbus », l’enfance, les rêves, ou encore la philosophie. D’une manière générale je fais appel à mon imaginaire et à l’interprétation du public, hétérotopie et fantasmagorie étant les piliers de ma réflexion. Pour le concert des Wetrobots par exemple j’ai écouté un morceau puis je me suis inspiré de l’univers du groupe, et notamment de la chanteuse Bosaina qui revendique une place plus affirmée des femmes dans l’espace public arabe. En plus de boucles d’images de synthèse j’ai ainsi utilisé des extraits d’un film de Samia Gamal (issu d’un travail précédent), « Allemagne année 90 neuf zéro » de Jean-Luc Godard (un classique chez moi), ainsi que deux films tunisiens, « Un été à la Goulette » et « Asfour sta7 ».

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Peux-tu nous parler d’une création qui te tient particulièrement à coeur ?

En parallèle à Wafolyv, j’ai eu envie de voler de mes propres ailes et ai présenté ma première performance en solo dans un bunker anti-atomique situé à 26 mètres sous terre dans le XIVe arrondissement acquis par une société de télécommunications dans le but de stocker ses données. Avant l’installation des machines le patron, cataphile averti a fait appel à une trentaine d’artistes pour habiller l’endroit lors d’une exposition collective éphémère et c’est comme cela que je me suis retrouvée à habiller une alcôve avec « Les Fleurs du Mal », une installation toute baudelairienne d’une vingtaine de minutes. La genèse de cette installation est très personnelle : l’année dernière, alors que je me promenais le vague à l’âme sur les quais de Seine je suis tombée chez un bouquiniste sur une vieille édition des « Fleurs du Mal ». J’ai décidé de compiler aléatoirement plusieurs passages pris au hasard, et de traduire visuellement ce que m’inspirait le résultat. L’été dernier j’ai présenté cette installation au festival EPHEMERE enrichie d’un design sonore créé par Houwaida Hedfi, muscienne tunisienne dont je vous conseille de découvrir le travail.

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Pour finir, quels sont les projets sur lesquels tu travailles actuellement ? 

Dans le cadre du collectif Arabstazy dont je suis la VJ résidente je me suis déjà produite au Petit Bain donc, mais également à Tozeur en Tunisie. D’autres dates à confirmer sont prévues en Egypte et en Autriche. Je travaille actuellement sur une vidéo qui questionne mon ressenti d’individu arabe face au conflit israélo-palestinien et j’entame en parallèle un projet visuel en collaboration avec une artiste musicienne anglaise, une recherche d’un dialogue palpable entre l’image et le son, le VJ et le DJ.

Waf et le collectif Arabstazy sur les routes du sud Tunisien pour une performance à Tozeur. 

Crédit photos : Mehdi Machta (portrait N&B), Wafa Benromdan & Ustaza à Paris.

Propos recueillis par Coline Houssais.

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Cette entrée a été publiée le 4 mars 2015 par dans Interview, Magazine, et est taguée , , , , , , .
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