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Le Paris d’Ustaza…Monsieur Mohammed et la place Slimane Azem (XIVe)

place slimane azem

Les plus belles rencontres sont souvent inattendues, comme celle-ci avec un vieux monsieur algérien croisé par hasard sur la place Slimane Azem dans le XIVe arrondissement. Slimane Azem était un auteur-compositeur kabyle qui a vécu en exil en France après l’indépendance de son pays natal. Monsieur Mohammed lui est venu à Paris en vacances visiter une multitude de lieux publics nommés en l’honneur d’artistes algériens qu’il admire, mais qui ironiquement ne sont pas toujours reconnus dans leur patrie d’origine. Paris, terre d’accueil des voix libres, pour encore longtemps je l’espère.

Qu’est-ce qui m’a interpellé en premier en traversant par hasard ce coin du XIVe arrondissement : le nom sur l’écriteau, ou le vieux monsieur planté devant ? Je voulais capturer avec mon appareil la plaque « Place Slimane Azem », et lui voulait qu’un passant l’immortalise devant cette dernière. Finalement, c’est moi qu’il a hélé, et c’est lui que j’ai photographié.

C’est lui aussi qui s’est chargé des présentations : « voici Slimane Azem, l’une des figures de la chanson kabyle parisienne« . Métallurgiste en Lorraine, puis cheminot dans le métro parisien dans les années 1930, Slimane Azem est déporté en Allemagne jusqu’à la fin de la guerre. Interdit d’antenne dans son pays natal et craignant pour sa vie après 1962, il pose définitivement ses valises en France et se consacre à une musique populaire dans les deux pays : disque d’or tricolore en 1970, ses albums s’arrachent chez Madame Sauviat* boulevard de la Chapelle et se vendent sous le manteau en Algérie, où ses nombreux fans tentent de capter tant bien que mal le « quart d’heure kabyle » quotidien de Radio Paris.

Visiblement très ému d’être là, Monsieur Mohamed a pourtant mis du temps à trouver cette place, engoncée le long des voies ferrées de la gare Montparnasse entre l’imposante Place de Catalogne et la paroisse Notre-Dame du Travail. Les habitants du quartier n’en avaient jamais entendu parler, il est passé devant à plusieurs reprises sans la voir, et ce sont les policiers du commissariat voisin qui ont fini par dénicher l’emplacement exact sur internet. A leur décharge, la place Slimane Azem a été rebaptisée de la sorte par la Ville de Paris en décembre 2013, et la plaque est visible depuis le 11 octobre 2014 seulement.

Mais comment Monsieur Mohammed en a-t-il alors entendu parler ? « A Alger, tout le monde sait ce qui se passe à Paris » rétorque t-il avec évidence. Et de me montrer des coupures du journal « Liberté » soigneusement découpées et pliées dans son carnet, qui constituent le fil rouge de ses escapades parisiennes : « Benjamin Stora nommé directeur du Musée de l’Immigration », « La place Slimane-Azem inaugurée hier à Paris », « Une place Slimane-Azem à Paris », « Bourguiba à Paris ». « A chacun de mes séjours à Paris j’effectue une sorte de pèlerinage de lieux qui me sont chers ou que je ne connais pas encore : la place Slimane Azem (XIVe), la rue Lounes Matoub (XIXe), la place Bourguiba (VIIe) par exemple« .  Il avoue « être à la fois heureux et triste de voir des pays étrangers rendre hommage à des Algériens qui devraient l’être avant tout dans leur pays », mais compte remercier par écrit la Mairie de Paris pour ce geste.

Fonctionnaire algérien à la retraite, Monsieur Mohamed vient « environ une fois l’an » en France rendre visite à des membres de sa famille au nord et à l’ouest de Paris ou à des amis, dont des pieds noirs avec qui il a gardé contact après leur départ d’Algérie en 1962. « J’ai participé à la lutte pour l’indépendance mais la culture française a toujours eu une place à part dans mon coeur« . Comme beaucoup, il s’est avant tout battu contre les politiques coloniales du gouvernement français et de ses supporteurs et non « contre la France » et se sent rassuré de voir que « la jeune génération algérienne a un rapport beaucoup plus apaisé avec l’histoire entre les deux pays ».

Mais les visites à Paris de Mr Mohamed ne sont pas que promenades nostalgiques. Elles lui permettent aussi de prolonger les activités de l’Institut français d’Alger dont il est un visiteur assidu. Dernière en date, une conférence-spectacle de Jean Lapierre sur Claude Nougaro qui a mentionné le « Lapin Agile » où le chanteur a débuté et où Lapierre a ses habitudes. Inutile de dire que le cabaret de Montmartre faire partie des visites au programme.

Le soleil hivernal qui disparaît derrière les immeubles nous surprend, et nous contraint à faire quelques photos à la hâte pour profiter de la lumière. Qu’importe, l’essentiel est dans le coeur, qui bat un peu plus fort pour ce regard apaisé et profondément humain, fragment de vie viscéralement ancré des deux côtés de la Méditerranée. Monsieur Mohamed vient en France pour ses vacances, et j’espère passer les miennes en Algérie !

* A propos de Madame Sauviat : Auvergnate débarquée à Paris, Madame Sauviat a longtemps été l’unique disquaire qui vendait les albums d’artistes arabes, maghrébins ou orientaux, et sa boutique boulevard de la Chapelle l’un des hauts lieux informels de la musique immigrée. Pour en savoir plus sur la scène musicale maghrébine des années 1960 à 1980 retrouvez l’excellente interview de Kamel Hamadi parue dans Libération en 1997.

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Cette entrée a été publiée le 27 janvier 2015 par dans Le Paris d'Ustaza, Magazine, et est taguée , , , , , .
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