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Ustaza vous raconte… »Al Wasla » de Tarek Abdallah

CD. Difficile à croire, mais le ‘oud, instrument de la musique arabe par excellence a failli disparaître de la scène musicale égyptienne. Ecoutez plutôt : star de l’ensemble instrumental traditionnel (takht), cet instrument à cordes pincées aux sonorités chaleureuses est devenu au début du XXe siècle l’accompagnement de choix de la voix. Lui ont alors rendu hommage de grands musiciens comme Mohammed al-Qasabji, ou Mohammed Abd al-Wahab. Cependant dès les années 1930, le takht est remplacé par les grands orchestres à l’occidentale (Abd al-Wahab et Farid al-Atrach font figure d’exception). S’ensuit un enfermement progressif du ‘oud dans les académies de musique et les manifestations patrimoniales. Toute l’Egypte boude alors le ‘oud. Toute ? Non, un groupe de passionnés résiste à cette mise à l’écart dans les années 1970 et 1980 : George Michel, Mammduh al-Gebali, Muddathir Abu al-Wafa et ‘Abdu Dagher font revivre la tradition du takht et du ‘oud, qui connaît dès lors un regain d’intérêt depuis les années 1990. La création de la Maison du Luth Arabe du Caire (MLAC) par le oudiste irakien Nasseer Shamma en 1999 marque le point d’orgue de cette reconquête en formant une nouvelle génération d’instrumentistes maghrébins et proche-orientaux, dont Tarek Abdallah.

Une innovation au coeur de rythmes séculaires

Alors que tout au long du XXe siècle « la seule voix d’innovation des discours musicaux traditionnels était par le biais de l’assimilation avec la mode en vogue, à titre d’exemple, l’interprétation du discours d’une manière acculturée issue de la musique savante européenne » (jazz, rock), Abdallah présente une « forme innovante d’interprétation possible, par le changement du cycle rythmique, et ceci sans atteindre au fond de cette oeuvre qui appartient à la tradition modale savante ».

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« Wasla » s’inscrit par conséquent dans la continuité d’un courant musical qui vise à développer le ‘oud par une modernisation des modes rythmiques et mélodiques qui y sont traditionnellement associés. Suite de pièces musicales basées sur un même maqam (mode) et sur des cycles rythmiques variés, la wasla traditionnelle (égyptienne, turque, irakienne ou persane) suit un schéma particulier indissociable du chant. Abdallah innove en créant une wasla instrumentale d’un nouveau genre par l’ajout de suites musicales différentes tout en empruntant des notions issues de l’art vocal. Il utilise ainsi des cycles inédits et inusités et n’hésite pas à les compléter par ses propres compositions. Loin de se borner à une simple interprétation de modes parfois séculaires, Abdallah emmène ces maqams plus loin, les complète à sa guise et les module pour arriver à une harmonie pour un résultat qui porte définitivement sa patte. En somme, il « suggère dans Wasla la mise en lumière des possibilités non-exploitées dans la musique levantine afin de les faire parler après avoir été latentes et muselées » et constitue une continuité vivante avec l’époque fastueuse du début du XXe siècle.

Tarek Abdallah est accompagné dans cette exploration sonore par Adel Shams El-Din, joueur de riqq (petit tambourin avec deux rangées de cymbales) de renom. La simplicité de ces deux instruments (sans voix ni arrangements) est surpassée par la complexité et le dynamisme dû à la maîtrise des rythmes et à la virtuosité de l’exécution de Abdallah et Adel Shams El-Din : mes morceaux préférés sont ainsi ceux où riqq et ‘oud se dédoublent et offrent quatre lignes musicales qui s’entremêlent, entre percussions sur peau tendue et métal pour le premier et mélodie et basse pour le second (Prélude Shams, Walli Gai).    

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Une déclaration d’amour à la musique traditionnelle égyptienne

Mention spéciale au livret d’accompagnement de l’album, véritable mine d’or pour mélomanes et chercheurs : signé Ahmed Al-Salhi, Fadi El-Abdallah et Mustafa Said, il retrace l’évolution de l’usage du ‘oud depuis les premiers enregistrements sonores (1903) jusqu’à nos jours et dissèque soigneusement chaque schème rythmique dans un langage à la fois savant et accessible.

On y apprend par exemple que « la musique égyptienne, depuis l’âge de la sécheresse pour ainsi dire, n’a que rarement produit une musique instrumentale portant un discours arabe égyptien authentique. A l’exception de ‘Abdu Dagher (…) la plupart des compositeurs égyptiens ont favorisé une musique servant les domaines cinématographique et télévisuel, ou une musique influencée des différents genres musicaux occidentaux où l’on trouve des influences de diverses cultures du monde (…) La plupart de ces oeuvres musicales fut généralement composée en se basant sur des maqam limités, répétitifs et dépourvus des intervalles propres à la musique arabe, ou quarts de ton ».

Album nécessaire donc, « Wasla » relève le défi d’offrir un album de spécialiste purement instrumental abordable par le grand public et à la portée de tous.

« Wasla », sortie le 12 janvier 2015. Buda Musique / Universal. Sélection « Top Mezzo » par Mezzo Classic-Jazz TV.

Pour rappel, Tarek Abdallah et Adel Shams el-Din seront en concert mardi 27 janvier au Studio de l’Ermitage (XXe). Réservez vos places

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Cette entrée a été publiée le 24 janvier 2015 par dans Magazine, Musique, et est taguée , , , , , , , , , , .