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Ustaza vous raconte… « Barbara-Fairouz » de Dorsaf Hamdani

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Un matin de novembre, un de ces lundis où les volutes du premier thé de la journée se perdent dans l’horizon parisien intensément gris, hermétique et lumineux à la fois. Un matin où le choix des premières notes de la journée est difficile si l’on veut s’accorder à cette masse nuageuse qui donne à tout une teinte ouatée, comme figée dans un sommeil hibernatoire.

Soudain, à défaut de notes la sonnerie retentit, et tout est chamboulé : facteur, colis, un disque à l’intérieur, un mot l’accompagnant, ruée vers le lecteur (de CD, pas d’Ustaza). Play. Et la musique envahit la pièce, s’installe comme chez elle, se love sur le canapé, allume une cigarette et souffle sa fumée sur les nuages. Bingo, c’est elle !

La bande-son de ce matin de novembre parisien que j’ai entre les mains, c’est “Barbara-Fairouz” de Dorsaf Hamdani, à paraître mardi 18 novembre chez Accords Croisés.

Barbara vs. Fairouz, un pari risqué…

Réunir ces deux grandes dames de la chanson libanaise et française aux hymnes emblématiques pour des générations entières est une idée séduisante mais potentiellement hasardeuse : “Je n’ai pas envie d’être comme une chanteuse française qui reprend Barbara, déclare Dorsaf Hamdani. J’avais aussi envie de sortir des sentiers battus de ma culture, d’introduire quelque chose dans l’interprétation qui ne donne pas l’impression d’entendre Fairouz. L’essentiel était de créer un troisième élément qui n’existait pas avant”.

Si les albums précédents de la chanteuse tunisienne (Ivresses – Le sacre de Khayyam, Princesses du chant arabe et Melos) ne laissent pas de doute sur sa maîtrise vocale et sa capacité à interpréter les répertoires de Fairouz et de Barbara, le défi résidait dans la création d’un univers qui mette en valeur à la fois les chansons originelles et la patte de Dorsaf Hamdani.

La direction musicale de l’accordéoniste Daniel Mille relève le défi d’une main de maître : “Dès le premier rendez-vous avez Dorsaf, j’ai compris. Elle m’a parlé de ce qu’elle voulait – du silence, de l’air, de l’espace. Je n’avais jamais entendu Fairouz et je connais finalement assez peu Barbara. Cela me convenait : il fallait traiter de la même manière les chansons de l’une et l’autre. Toujours aller vers le dépouillement”.

…mais Pari(s) gagné (et libéré !).

De fil en aiguille, entre sélection des chansons et ciselage des arrangements (Lucien Zerrad à la guitare et au oud, Mohamed Lassoued au violon et au oud, Lotfi Soua aux percussions) la rencontre a lieu et la magie opère. Dorsaf Hamdani explique qu’“il y a chez Fairouz beaucoup de chansons très spectaculaires avec de grands orchestres mais il fallait des chansons qui parlent à Barbara. Et réciproquement. Je ne voulais pas faire l’aller-retour entre deux univers, entre deux âmes. Daniel m’a beaucoup aidé à la rapprocher”.

Les arrangements simples et épurés siéent à l’une comme à l’autre, et me rappellent le travail de Basel Rajoub sur les deux premiers albums de Lena Chamamyan. De l’accordéon enjoué à la guitare acoustique rythmique et mélodique mâtinée de oud (Gare de Lyon) -sans oublier le daf iranien, hérité de ses albums précédents-, “Barbara-Fairouz” est loin d’être un album conventionnel et tiède de reprises, et prouve que derbouka peut rimer avec Barbara sans faire hurler à un collage artificiel (Ce matin-là). L’apport de Dorsaf Hamdani, au-delà de son interprétation sans faille est ce petit grain nord-africain, évoquant le maalouf tunisien comme la chanson judéo-arabe algérienne (dans Atini nay wa ghanni j’aurais juré que Lili Boniche n’était pas loin), qui nous fait rebondir pour le plus grand bonheur de nos oreilles sur les quatre rives de la Méditerranée.

Ainsi, en amenant de la chaleur à Barbara et en esquissant un sourire sur les lèvres de Fairouz, Dorsaf Hamdani rapproche deux univers, deux pays et deux publics, pour le plus grand bonheur de tous et donne une nouvelle vie à ces deux chanteuses iconiques. Longue vie au trio !

Merci Paris d’avoir été si gris ce matin, je ne pouvais rêver meilleur écrin pour écouter ce bijou.

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Cette entrée a été publiée le 17 novembre 2014 par dans Magazine, Musique, Sonar, et est taguée , , , , , , , .