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Exposition Mona Hatoum au Centre Pompidou

EXPOSITION. DU 24 JUIN AU 28 SEPTEMBRE 2015 DE 11H A 21H. CENTRE POMPIDOU (IVe). 11/14 € (forfait).

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Dans notre monde mû par des contradictions, des tensions géopolitiques, des esthétiques diversifiées, Mona Hatoum nous offre un œuvre qui atteint une universalité inégalée, un œuvre devenu « modèle » pour de nombreux artistes contemporains. L’artiste britannique, d’origine palestinienne, est l’une des représentantes incontournables de la scène contemporaine internationale. Son œuvre s’impose par la justesse de son propos, par l’adéquation entre les formes et les matériaux proposés, par la pluridisciplinarité de son travail et finalement par sa relecture originale et engagée des mouvements d’art contemporain (performance, cinétisme, minimalisme). Après avoir réalisé, voilà vingt ans, la première exposition muséale dédiée à l’œuvre de Mona Hatoum, le Centre Pompidou lui consacre aujourd’hui une première grande monographie qui réunit une centaine d’œuvres et rend compte de la pluridisciplinarité de son travail, de 1977 à 2015. Sans chronologie, comme une « cartographie » de la trajectoire de Mona Hatoum, l’exposition offre au public une traversée de son œuvre par affinités formelles et sensibles. Ainsi les performances des années 1980, qu’elles soient documentées en photos, dessins ou vidéos, sont mises en relation avec des installations, des sculptures, des dessins, des photographies et des objets datant de la fin des années 1980 à aujourd’hui. Commissariat de Christine van Assche.
En savoir plus sur Mona Hatoum : Mona Hatoum, née au Liban en 1952 de parents d’origine palestinienne, quitte ce pays en 1975 pour un court séjour à Londres au moment où la guerre éclate au Liban. Elle reste dans la capitale britannique où elle commence des études d’art. Deux grandes périodes divisent son travail. Durant les années 1980, Mona Hatoum explore le territoire de la performance et de la vidéo. Son œuvre est alors de nature narrative et se penche sur des questions sociales et politiques. Depuis les années 1990, sa production est caractérisée par des œuvres plus « permanentes », des installations, des sculptures ou des dessins. Se plaçant désormais dans des perspectives d’avant-garde, Mona Hatoum explore des installations influencées par le cinétisme et les théories phénoménologiques, ou d’autres installations qu’on pourrait définir comme postminimalistes, utilisant des matériaux trouvés dans le monde industriel (grilles et fils de fer barbelé) ou dans son propre environnement (cheveux). Certaines de ses installations et de ses sculptures, engagées pour la plupart, sont orientées par le féminisme. Autour d’elles gravitent des objets plutôt surréalistes, des travaux sur papier réalisés avec des matériaux du quotidien inhabituels ou des photographies prises lors de voyages, et en lien avec d’autres œuvres de l’exposition.
Entretien de Christine van Assche avec Mona Hatoum :
Christine van Assche – Vous avez passé vingt-trois ans au Liban où vous êtes née, et vous vivez depuis quarante ans entre la Grande-Bretagne et Berlin. Comment vous situez-vous entre ces différentes cultures, entre le Moyen-Orient et l’Occident, ou plutôt comment situez-vous votre travail ?

Mona Hatoum – Je ne crois pas qu’il faille penser à mon travail en ces termes. Je trouve dommage que les gens approchent mon travail dans l’idée de le connecter à mes origines. Cela limite leur lecture et élude les subtilités formelles et l’expérience complète que peuvent offrir mes œuvres. Mon travail utilise la géométrie, l’abstraction et le langage formel de l’art. Les grandes installations que j’ai créées depuis le début des années 1990 font référence à l’architecture, aux structures du pouvoir et du contrôle que j’ai observées en Occident. Mes racines sont au Moyen-Orient. Toute ma scolarité s’est déroulée à Beyrouth, ville cosmopolite où j’ai étudié dans une école française avant de terminer mes études dans une école italienne, pour ensuite rejoindre une université américaine. Bien avant de quitter le Liban, j’étais donc déjà exposée à des influences très diverses et éclectiques. C’est une situation typique de la condition postcoloniale dans les régions arabes et nord-africaines, où la conjonction de multiples influences culturelles nourrit la psyché de sa complexité, de sa richesse. J’ai désormais passé les deux tiers de ma vie en Angleterre, et, depuis plus récemment, je partage mon temps entre Londres et Berlin. J’ai donc vécu une expérience culturelle hybride, une existence plurielle, et je pense que cela se reflète clairement dans la diversité formelle et les approches multiples qui se font jour dans mon travail.

CVA – Qu’entendez-vous par la référence aux « structures du pouvoir occidentales » ?

MH – La surveillance permanente exercée sur la société est une des premières choses qui m’a frappée lorsque je suis arrivée en Angleterre. À la fin des années 1970, mon engagement auprès de groupes féministes m’a conduite à examiner les relations de pouvoir qui existaient, d’abord à travers le prisme du fossé entre les genres, puis à travers celui des relations entre les races. J’ai également observé que l’institution bureaucratique dont je faisais partie à l’époque (University College London) était un microcosme de pouvoirs coloniaux. Cette observation m’a poussée à analyser la relation entre l’Occident et le tiers-monde. À l’époque, je lisais Foucault et Bataille et me suis intéressée de près aux concepts de Panopticon et de surveillance, ainsi qu’à d’autres mécanismes de contrôle étatique.

CVA – Tout votre travail engage le spectateur dans une relation complexe, différente néanmoins dans les performances, les sculptures et dans les œuvres d’installation. Comment avez-vous fait évoluer cet engagement ?

MH – J’aime entraîner les gens vers une approche visuelle et physique, de sorte que les associations ou les interprétations jaillissent de cette première rencontre physique avec l’œuvre. Dans mes performances, j’avais une relation directe avec le public, mais lorsque j’ai commencé à créer des installations, j’ai souhaité que le corps du spectateur supplante mon propre corps. Au sein des grandes installations, qui peuvent être assez imposantes en surface, le spectateur fait peu à peu corps avec l’espace et les éléments formels de l’œuvre, afin d’expérimenter un sentiment d’instabilité ou de menace par exemple. Concernant les sculptures et en particulier lorsqu’elles prennent la forme d’objets domestiques et de mobilier le spectateur peut projeter son propre corps sur une œuvre et s’imaginer en train d’en user. Le fait que ces œuvres aient été transformées en objets inutilisables et menaçants nous pousse à remettre en cause la sécurité du monde dans lequel nous vivons.

CVA – Comment sont présentées les performances dans l’exposition ?

MH – Une sélection de performances dix au total est présentée, documentée à travers des photographies, carnets de croquis et textes descriptifs. Quatre vidéo-documentations de performances sont également montrées dans l’exposition, représentant, avec les travaux-vidéos, la majorité de ce que j’ai réalisé tout au long des années 1980. Le tout est dispersé dans l’exposition, offrant ainsi une perspective et une expérience de visite différentes, à côté d’installations plus formelles, expérientielles, et de sculptures.

CVA – Vous avez réalisé plusieurs vidéos, non liées aux performances. Celles-ci correspondent-elles à une certaine période de votre carrière ? À certaines recherches spécifiques ?

MH – Dans les années 1980, aux côtés de mon travail de performances qui incluait souvent un élément de vidéo live, j’ai produit plusieurs vidéos qui étaient une extension de ce que je faisais à l’époque, basé sur la temporalité et la narration. La première de ces vidéos, So much I want to say, consistait en une performance avec une transmission satellite à balayage lent (slowscan), réalisée entre Vancouver et Vienne en 1983. J’ai également utilisé des séquences filmées en Super 8 pendant la performance Under Siege (1982), pour introduire un chaos dans la seconde partie de l’œuvre Changing Parts (1984). En outre, j’ai totalement reconfiguré certains éléments issus d’un extrait d’une performance complexe, intitulée Mind the Gap (1986), pour créer en 1988 la vidéo Measures of Distance. Depuis, j’ai produit des installations-vidéos qui traitent du problème de la surveillance, telle que Corps étranger (NDLR : une œuvre produite en 1994 pour le Centre Pompidou et entrée dans sa collection la même année), ainsi qu’une série d’installations pour laquelle j’ai projeté sur l’espace d’exposition des sons et des images live captés dans la rue, en utilisant une caméra de surveillance.

CVA – L’exposition propose un certain nombre d’installations impressionnantes et minimalistes par leurs matériaux, leur relation à l’espace et au spectateur. Que représentent ces installations dans l’ensemble de votre travail ? Comment les situez-vous dans le mouvement minimaliste ?

MH – Dans les grandes installations, j’ai eu recours à des grilles, à la géométrie du cube, ainsi qu’à la sérialité et à la répétition, comme autant de dispositifs formels minimalistes. Mais quand le cube se transforme en une cage et que la grille devient une barrière, ils cessent d’être abstraits : ils font référence au confinement, au contrôle, et, finalement, à l’architecture de la prison. Certaines de ces installations, telle Light Sentence (1992), sont performatives et utilisent la lumière, les ombres et le mouvement afin de déstabiliser l’espace. D’autres, telle Map (clear) (2015), intègrent un matériau instable – les billes de verre – afin de transformer le sol sous nos pieds en une surface trompeuse. Ce travail n’est donc minimaliste qu’à un niveau formel et esthétique. Il n’est pas autoréférentiel, mais il est ouvert à l’interprétation et fait souvent référence à l’instabilité et aux conflits présents dans le monde que nous habitons.

CVA – Vous réalisez également des objets qui semblent davantage relever du surréalisme et laissent filtrer une touche d’humour. Est-ce une intention délibérée de votre part ?

MH – L’humour a toujours joué un rôle important dans mon travail. Je l’ai souvent associé à une touche de surréalisme afin de contredire ou de dégonfler certains thèmes sérieux évoqués dans mes premiers travaux. Comme avecRoadworks, une performance de 1985 dans laquelle je marchais pieds nus dans les rues de Brixton, en traînant derrière moi de lourdes bottes de policier, ou bien dans le tableau intitulé Over my dead body (1988), où le symbole de masculinité était réduit à un jouet représentant un petit soldat. L’humour est aussi évident dans les sculptures telles que Jardin Public (1993), Untitled (wheelchair) (1998-99), T42 (gold) (1999). On le retrouve également dans les séries de sculptures où j’agrandis, dans des proportions surréalistes, des ustensiles de cuisine inoffensifs, et les transforme en paravents ou en lits menaçants. Je suis intéressée par le surréalisme car je le conçois comme une visualisation des contradictions et des complexités qui nous habitent, et une manière de faire de l’art à partir de la réalité intime plutôt qu’à partir de notre esprit logique. Le concept de l’étrange, ou celui de la chose familière qui devient inquiétante voire menaçante parce qu’elle est associée à un certain traumatisme, a souvent figuré d’une manière ou d’une autre tout au long de mon travail.

CVA – Quels sont les artistes modernes ou contemporains dont vous vous sentez le plus proche ?

MH – Les artistes qui m’ont inspirée aux différentes étapes de mon parcours sont Marcel Duchamp, René Magritte, Meret Oppenheim, Agnès Martin, Eva Hesse, Felix Gonzales-Torres et bien d’autres encore…
(contenu obtenu à partir du site du centre Pompidou).

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Cette entrée a été publiée le 24 juin 2015 par dans Agenda, Expositions, et est taguée , , .