Ustaza à Paris

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Ustaza rencontre…Walead Ben Selim (N3rdistan)

n3rdistan haut parleur

Citadin de naissance (en 1984), Walead s’est fait un nid dans les montagnes autour de Perpignan où il compose une musique hybride, aux pieds solidement ancrés sur terre et à la tête perdue dans les limbes électro-magnétiques du numérique, à son image et à celle de son groupe, N3rdistan, en concert à l’Institut des Cultures d’Islam vendredi 10 octobre 2014 à 20h. Interview.

walead ben selim Grandi à Casablanca, vous avez étudié à Perpignan où vous résidez actuellement. N3rdistan, c’est un pays imaginaire de la Méditerranée ?

Je ne me définis par forcément comme méditerranéen, mais plutôt comme un artiste du sud, un vrai casaoui, perturbé et perturbant qui a trouvé refuge dans la campagne du sud de la France. N3rdistan en fait, c’est le « pays des Nerds » (traduction), la patrie des exilés numériques.

Le net instaure donc une nouvelle territorialité, paradoxalement immatérielle ?

Tout à fait, et cette immatérialité est très importante ; quand on arrive en Europe par exemple en tant que Marocains, on est confrontés tout de suite aux problèmes de papiers et de visa. Ainsi, le net a représenté pour nous une formidable ouverture sur le monde, sans visa ni passeport.

Cette plateforme numérique a également été l’occasion pour de nombreuses personnes en Europe et ailleurs de découvrir la culture arabe, c’est une ouverture dans les deux sens…

Oui, je me souviens de mes premières expériences avec Mirc 32 (chat des années 1990) en 1995, lorsque nous passions des nuits blanches -moins cher que la journée- à discuter avec des gens basés à Vancouver ou à Paris via des serveurs canadiens, américains, français. Le « ASV SVP » (adresse sexe ville s’il vous plaît), c’est un peu le slogan de toute une génération, toutes nationalités confondues.

Internet semble avoir pris une place dans la redéfinition de la jeunesse marocaine beaucoup plus tôt qu’en France, non ?

Il a surtout amorcé une véritable révolution dans un contexte particulier. Le milieu des années 1990 a vu l’avènement d’une génération qui n’avait connu Hassan II que vieillissant. Une ambiance de fin de règne planait, la fin d’années de despotisme. Tout était encore bloqué cependant, du coup la liberté qu’offrait internet nous est apparue comme un jeu vidéo, et nous nous y sommes engouffrés les yeux fermés, sans la moindre hésitation ni la moindre réflexion.

Peut-on dire que l’avènement du numérique a permis la création d’un véritable espace de création et d’expression de la jeunesse au Maroc ?

Oui et non, disons qu’internet a surtout permis aux jeunes marocains de s’exprimer tous azimuts, ainsi qu’une formidable liberté par rapport aux parents et à l’environnement familial. Tout d’un coup plus personne ne jugeait ce que tu faisais, tes goûts, tes opinions et tes prises de position. Le net a représenté la démocratisation de toutes les voix possibles, ce qui n’était pas le cas avant.

Pour les artistes, internet a surtout permis de pouvoir écouter et s’inspirer de tous les types de musique imaginables et de  télécharger des logiciels d’apprentissage d’un instrument, ou de montage audio par exemple. Ainsi, certains on pu composer des morceaux sans posséder une seule notion de solfège et acquérir en autodidacte une solide culture musicale, via des blogs comme Dimarap.

De cette manière, beaucoup ont pu exister musicalement sans être passés par ce qui étaient les deux voies traditionnelles de la musique au Maroc : le conservatoire et son aspect des fois vieillot et académique, et le « l9eiji », l’animation de mariages à grands renforts de musique chaâbi.

En revanche, l’émergence en elle-même de la scène contemporaine musicale marocaine est venue du secteur privé, comme le groupe Etisalat Al Maghreb qui a fait un gros travail de promotion.

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Le Panthéon poétique de Walead Ben Selim : Ahmed Matar (Irak, 1954-), Mahmoud Darwich (Palestine, 1941-2008), la poésie arabo-andalouse du XIIIe siècle, Nizar Qabbani (Syrie, 1923-1998) et Gibran Khalil Gibran (1883-1931).

Venons-en au thème qui t’est très cher, la liberté. La liberté cependant, c’est large…

Justement, pour moi la liberté devrait être commune et banale. C’est le premier et dernier principe de la vie, tout homme doit naître libre et le rester. Je ne pense pas que chacun devrait avoir sa propre conception de la liberté, car en la singularisant de la sorte et en lui donnant un sens concret (comme le droit de vote, ou la consommation de masse) on la restreint.

Et c’est donc cette liberté qui guide ta sélection de poèmes que tu vas mettre en musique ?

Tout à fait, les poèmes que je chante peuvent venir du IXe siècle comme des années 1970, du XIXe ou du XIIIe siècle. Ils transcendent les époques et les frontières. Mais l’un de mes préférés est le meilleur poème que j’ai jamais lu : il s’agit d’un texte de la période andalouse qui compare la vie à un cercle qui ne s’arrête pas de tourner. Il résume toute la beauté de la vie en quelques lignes, et incite à vivre sa vie librement, sans se soucier du reste.

Ce haut-parleur, que tu as souvent à la main sur scène, c’est une référence aux mouvements de lutte contemporains dans le monde arabe ?

Absolument. Les poètes que je chante, à commencer par Matar et Darwich, sont indissociables des manifestations qui ont secoué la région dans les années 60 et 80. Les poètes sont les haut-parleurs des mouvements d’émancipation, et leurs textes conservent leur pertinence jusqu’à aujourd’hui. Si je reprends ces poèmes avec un haut-parleur, c’est pour rappeler aux générations antérieures, à la génération de nos parents, à celle de nos grands-parents qu’eux aussi ont mené en leur temps et avec leurs mots le même combat que celui que nous menons aujourd’hui. Ce qu’ils ont tendance à oublier.

Widad

N3rdistan est né sous ton impulsion, mais c’est aussi une aventure collective. Tu nous présentes ton groupe ?

N3rdistan s’est constitué au gré des rencontres, perdues de vue et retrouvées. Tout d’abord il y a Widad (chant et machines), la première rappeuse au Maroc. Nous avions monté un groupe de rap plus jeunes, « Thug gang », et pensions à lépoque que la consécration était de finir en prison comme Tupac ! Nous avons tout de même remporté le championnat du Maroc de rap en 2000, ainsi que le Tremplin des jeunes musiciens en 2001. Nous avons fait nos études ensemble en France, puis après un intermède Widad a rejoint le groupe cette année.

Il y a aussi Nazim (batterie), le batteur du groupe de métal que j’avais créé en arrivant en France, et puis enfin Ben (flûte peul et kola) et Mathieu (réalisation) du studio Record It qui fait tenir le tout ensemble, et que j’ai rencontrés à mon retour d’Inde.

Rap, métal, slam même peut-être, instruments africains, poésie arabe…volontairement tu brouilles les pistes lorsqu’il s’agit de te qualifier musicalement !

Je ne revendique volontairement aucun style et compose sans me poser de questions…en toute liberté.

Pour finir, je doute de pouvoir faire de toi un Parisien convaincu, mais il y a bien certains aspects de la ville que tu apprécies ?

J’aime beaucoup le Marché des Enfants Rouges (IIIe), ainsi que La Bellevilloise (XXe). Paris est une ville fantastique aussi pour la culture en général et le cinéma en particulier. Mais si j’avais un message à faire passer aux Parisiens ce serait « sortez de Paris et mettez-vous un peu au vert ! ». Je n’ai pas quitté Casa pour rien…

BONUS : En exclusivité pour UAP, la playlist idéale de Walead Ben Selim…

Propos recueillis par Coline Houssais.

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Cette entrée a été publiée le 8 octobre 2014 par dans Agenda, Interview, Magazine, Musique, Spectacles, et est taguée , , , , , , , .
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