CINEMA/MUSIQUE. « Dans les bidonvilles du Caire, la jeunesse danse au son de l’electro chaâbi, une nouvelle musique qui mélange chanson populaire, beats électro et freestyles scandés à la manière du rap. L’idée : fusionner les sons et les styles de manière chaotique. Victime de la corruption et de la ségrégation sociale, la jeunesse des quartiers populaires exorcise en faisant la fête. Libération des corps et d’une parole refoulée, transgression des tabous religieux : bien plus qu’un simple phénomène musical, l’électro chaâbi est un exutoire salutaire pour une jeunesse brimée par les interdits que la société égyptienne lui impose. Sous des tentes illuminées de boules multicolores, des milliers de danseurs exécutent des chorégraphies spectaculaires dans un décor digne d’un film bollywoodien. Les refrains repris en cœur par les adeptes de ce nouveau phénomène surprennent celui qui s’imagine que l’Egypte est une contrée conservatrice et religieuse : « J’ai pris la voie du vice par le vice » ou encore : « Tu m’as fait boire jusqu’à l’ivresse! J’étais complètement saoul quand tu m’as ramené chez mon père. Ça t’a bien fait rire mais moi je me suis pris la plus grosse torgnole de ma vie! » La fête a des airs de rave party ou de Spring Break, elle a pourtant lieu dans un mariage. Ils ont moins de trente ans, représentent la majorité de la population et prennent littéralement en otage les mariages au point de leur faire perdre l’allure d’une fête familiale ou religieuse. Du quartier d’Imbaba au district de Matariya, chaque ghetto a sa star.
Islam Chipsy, le Jimmy Hendrix du synthétiseur, réinvente la transe psychédélique, il révolutionne les standards de la musique orientale. Petit dernier d’une grande fratrie, il joue depuis l’âge de onze ans, un paquet de chips à la main, ce qui lui a valu son surnom de Chipsy. Orphelin depuis l’âge de 17 ans, il soutient financièrement toute sa famille. Il a grandi trop vite : à 24 ans, il a déjà les responsabilités d’un patriarche et fait chaque jour preuve d’une grande sagesse. DJ Wezza est un pionnier du genre, il a fédéré une belle équipe autour de lui. Aujourd’hui, son groupe incarne la voix de la fête avec des chansons légères et drôles. A ses côtés, se produisent les rappeurs Oka et Ortega, beaux gosses séducteurs, harcelés par des centaines de groupies sur leur compte Facebook et sur leur portable, ils enchaînent les conversations coquines et les rendez-vous galants. MC Sadate et Amr Haha incarnent la conscience politique d’une jeunesse déshéritée. Ils ont précédé la Révolution avec leurs hymnes révoltés. Depuis plusieurs années déjà, ces musiciens dénoncent dans leurs chansons les injustices sociales, les bavures policières et les discriminations. A travers leur vie, on découvre une jeunesse égyptienne qui malgré son extrême pauvreté s’ouvre sur le monde, télécharge ses beats électro et se fait connaître grâce aux réseaux sociaux et à Youtube. Ici la célébrité passe par les vidéos des téléphones portables immédiatement mises en ligne après les concerts. Nos héros restent des stars sans droits d’auteur qui doivent se contenter des modestes cachets qu’ils reçoivent lorsqu’ils jouent dans les mariages. Mais depuis peu, la renommée internationale les guette : Islam Chipsy a été approché par des producteurs japonais et la marque Yamaha veut lui créer un modèle à son effigie. Une chaîne musicale satellitaire veut faire signer un contrat d’exclusivité aux rappeurs Oka et Ortega, ce qui sème la zizanie avec leur mentor Weza, disqualifié par son âge, il vient d’avoir la trentaine. Sadate, Amr Haha et Islam Chipsy sont invités à jouer à Marseille, capitale européenne de la culture en 2013. Le film les suit sur la voie d’une reconnaissance qui va désormais au-delà de leur quartier d’origine. Du temps de Moubarak, leur parole était cantonnée au ghetto, désormais, leurs voix sont entendues à travers toute l’Egypte et bientôt, au-delà de ses frontières ».
* Projection du documentaire « Electro Chaâbi » de Hind Meddeb (Egypte/France, 2013, 77′, VOSTF) pour la première fois en France, en présence de la réalisatrice, mercredi 15 janvier 2014 à 19h30 à la Gaité Lyrique, 3bis rue Papin (IIIe). Tarif 5/3/0 €. Plus d’informations.