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L'Agenda culturel arabe – باريس عاصمة العروبة

Regards croisés sur la culture en Europe de l’Est et dans le Sud de la Méditerranée : le compte-rendu

Jeudi 11 juillet dernier s’est déroulé à la Villa Méditerranée (Marseille) un colloque consacré aux défis et perspectives pour la culture en Méditerranée, avec une fois n’est pas coutume les regards croisés des expériences est-européennes et sud-méditerranéennes en la matière. La chute du mur de Berlin et le printemps arabe ont en effets des points communs, notamment concernant l’effet de surprise causé par ces événements et l’incertitude quant à la tournure que prendront ces derniers.

Cette rencontre a eu lieu à l’initiative de More Europe, organisation bruxelloise créée en 2011 avec le soutien de plusieurs instituts culturels européens par Sana Ouchtati, sa directrice. Visant à promouvoir l’importance de la culture dans les relations extérieures de l’Union Européenne, More Europe est parrainée par de nombreuses personnalités européennes et méditerranéennes, dont Leïla Chahid (représentante de la Palestine auprès de la Belgique, du Luxembourg et des institutions européennes), qui a ouvert le colloque en insistant sur le besoin des pays du sud de la Méditerranée de l’expérience des pays de l’Europe de l’Est dans les domaines de la transition démocratique, de la coexistence entre les peuples et de la laïcité. Rappelant la dimension éminemment politique de la culture, elle a salué la vitalité culturelle des pays arabes –dont la Palestine- face à l’impuissance du politique face aux crises politiques et sociales que traverse la région.

Le colloque s’est ouvert sur un premier panel consacré au rôle de la culture dans la transition démocratique des pays de l’Europe de l’Est (Vaclav Havel en Tchécoslovaquie en est un bon exemple). Hugues Mingarelli (Directeur exécutif pour la région Afrique du Nord, Moyen-Orient, Péninsule arabique, Iran et Irak du Service européen d’action extérieure) énumère les différences entre les deux régions : contrairement à l’Europe de l’Est qui a axé sa transition démocratique sur son intégration à terme à l’Union européenne le monde arabe a une idée moins précise quant au modèle de société et de démocratie à suivre. De même, contrairement au cas est-européen où l’Union européenne représentait un facteur d’influence majeur, cette dernière n’est plus qu’un acteur parmi d’autres dans le cadre maghrébin et proche-oriental. Enfin, les divisions politiques et religieuses importantes au sein du monde arabe tranchent avec la relative harmonie est-européenne post-chute du bloc de l’Est. Des similitudes existent cependant entre les deux situations : importance du rôle de la société civile dans la transition démocratique passée et à venir (syndicats et corporations professionnelles, organisations féminines, organisations de jeunesses…), importance d’un appareil d’Etat solide pour mettre en œuvre les réformes édictées ainsi qu’importance de contre-pouvoirs, notamment médiatiques.  Hugues Mingarelli termine son intervention en préconisant un renforcement de la mobilité des jeunes de part et d’autre de la Méditerranée pour une meilleure diffusion des idées démocratiques.

Peter Inkei (directeur de l’Observatoire culturel de Budapest) nuance les propos de Hugues Mingarelli sur l’attrait représentée par l’UE en Europe de l’Est en rappelant la force d’attraction culturelle des Etats-Unis, notamment via le biais des fondations Soros. Il rappelle également le regain du religieux en Europe de l’Est qui représente un facteur de division, ainsi que l’importance de la culture dans la construction étatique en Europe de l’Est à la fin du XIXe siècle.

Rania Stephan (réalisatrice libanaise) met en garde contre la précipitation à vouloir « fixer » et nommer les mouvements à l’œuvre dans le monde arabe, ce qui augmente les tensions et entrave le processus de transition démocratique. Pointant du doigt la « faillite évidente » du politique dans la région Afrique du Nord/Moyen Orient -ce qui incite les artistes et activistes de la société civile à prendre le relais de la mobilisation collective- elle distingue deux moyens de réagir pour l’artiste : produire sur le moment (ce qui oblige à jouer à la fois la casquette du citoyen et de l’artiste) et prendre du recul. Cette double obligation produit un tiraillement, une tension à laquelle les opérateurs culturels internationaux (dont l’Union européenne) contribuent en demandant aux artistes des pays touchés par le printemps arabe de donner leur point de vue sur les événements en cours, sans leur laisser le temps de réfléchir. Ce « tiraillement » est d’autant plus paradoxal que les opérateurs culturels privilégient l’expression artistique justement pour alléger les tensions politiques à l’œuvre.  Les deux visions sont complémentaires, mais il est important de rappeler que les artistes ont besoin de recul pour produire une réflexion plus profonde sur l’actualité.

Selon la réalisatrice, la région vit néanmoins un moment historique qui révèle les sociétés arabes à elles-mêmes dans leurs contradictions, leurs extrémismes, leurs processus créatifs. Le Liban, de part son histoire est peut-être plus habitué à être face à lui-même et à créer dans une situation politique instable, voire chaotique. Il peut dans ce sens inspirer les sociétés civiles d’autres pays.

Dans ce contexte l’artiste est amené à redevenir un élément de dynamisme social malgré les défaillances de l’Etat central (en termes d’infrastructures et de financement), voire grâce à ces dernières (l’absence d’Etat crée des niches de liberté de création).

Sofiane Ouissi a terminé le tour de table en présentant son projet « Dream City » : de retour en Tunisie fin 2007 après une carrière de danseurs-chorégraphes en Europe, les frère et soeur Sofiane et Selma Ouissi ont été confrontés à des « artistes démissionnaires marginalisés par la société » et à un manque de volonté politique, de financements publics et d’infrastructures. Les deux artistes ont donc décidé de renouveler le rapport de l’artiste en relation avec la société, le territoire et le politique en accompagnant pendant neuf mois des artistes pluridisciplinaires avec des spécialistes de la ville pour les aider à se réapproprier l’espace public dans une démarche citoyenne.

Deux idées principales concluent ce panel : l’importance de redéfinir la cible des politiques culturelles bilatérales et multilatérales autour des populations bénéficiaires et non des pays commanditaires ou financeurs et le besoin de trouver dans chaque état de la région un cadre de référence national (au-delà de l’antagonisme dépassé libéral pro-occidental/conservateur religieux anti-démocratique) qui peut être aidé au mieux par un dialogue avec l’Europe de l’Ouest et de l’Est, mais en aucun cas par une simple imposition d’un modèle exogène. Les acteurs non étatiques sont amenés à incarner dans ce contexte d’instabilité politique une continuité nécessaire à la préparation des sociétés de demain.

Les deux autres panels ont concerné respectivement la question de la mobilité des artistes et des visas (panel animé par Ferdinand Richard du Cimetta Fund avec Fabienne Bidou de Zone France, Mais Irqsusi de l’Arab Education Forum, Nini Palavandishvili de GEOAir – Contemporary Arts Space et Diederik Paalman chef adjoint de l’unité visa à la DG Affaires intérieures de la Commission européenne) et la réforme des politiques culturelles au Sud et à l’Est de la Méditerranée (panel animé par Ghislame Glasson Deschaumes de TransEuropéennes avec Goran Tomka de la faculté de Novi Sad, Kenza Sefrioui de l’association Racines, Corina Suteu du Romanian Film Initiative et Delphine Borione, secrétaire générale adjointe affaires civiles et sociales de l’Union pour la Méditerranée).

Le colloque a été suivi d’une table-ronde organisée au MuCEM intitulée « Dans un monde en mutation : quelle vision des artistes » organisée dans le cadre de l’Atelier d’idées « D’où vient l’avenir » des « Rencontres européennes » des Festivals d’Avignon, Aix-en-Provence et Arles en partenariat avec la Fondation Royaumont et More Europe. Invitée d’honneur de cette rencontre rassemblant musiciens et musicologues arabes et français, la création musicale « AlefBa » dont je vous parlerai bientôt…

 

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Cette entrée a été publiée le 15 juillet 2013 par dans Conférences, Magazine, et est taguée , , , , , , .
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